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AnalyseJustice criminelle : Poilievre veut réussir là où Harper a échoué

En laissant entendre qu’il invoquerait la disposition de dérogation pour serrer la vis aux criminels, le chef conservateur Pierre Poilievre reprend le bâton de pèlerin de Stephen Harper. Un bâton qu’il utilise pour taper au passage sur les institutions au pays, comme en témoigne son expulsion de la Chambre, mardi.

Pierre Poilievre fait un geste en parlant à la Chambre des communes.

Le chef conservateur Pierre Poilievre a été expulsé de la Chambre des communes, mardi, après avoir traité Justin Trudeau de « cinglé ».

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

À moins d’un an et demi des prochaines élections, Pierre Poilievre commence à détailler ce qui se cache derrière certains de ses slogans. Et pour mettre en œuvre l’une de ses quatre priorités, celle de « stopper le crime », le chef conservateur semble prêt à prendre les grands moyens.

Il donne également un avant-goût du style qu’il compte employer pour arriver à ses fins, comme l’illustre son expulsion des Communes, mardi.

Lundi soir, devant l’Association canadienne des policiers, il a indiqué à mots couverts qu’il n’avait pas l’intention de laisser les juges de la Cour suprême du Canada (CSC) avoir le dernier mot en matière de justice criminelle. Pour ce faire, il laisse entendre qu’il planifie avoir recours à la disposition de dérogation, aussi appelée clause dérogatoire, de la Charte canadienne des droits et libertés, une disposition souvent qualifiée d’option nucléaire.

Toutes mes propositions sont constitutionnelles, a-t-il tranché. Nous allons les rendre constitutionnelles en utilisant n’importe quel outil que me permet la Constitution pour les rendre constitutionnelles. Je pense que vous savez exactement ce que je veux dire.

Elles vont être mises en place, a-t-il prévenu. Et elles resteront en place.

En d'autres mots : s'il devient premier ministre, Pierre Poilievre s'assurera que les tribunaux ne pourront pas détricoter ses initiatives comme ils l’ont fait pour le dernier conservateur à avoir dirigé le pays, Stephen Harper.

Réforme Harper déboulonnée

L'édifice de la Cour suprême du Canada en fin de journée, au printemps.

S'il est élu, Pierre Poilievre compte s'assurer que ses initiatives ne pourront être défaites par les tribunaux, comme ils l’ont fait pour son prédécesseur, Stephen Harper. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Benoit Roussel

De grands pans de la réforme en matière de justice criminelle entreprise par l’ancien premier ministre conservateur ont été déboulonnés au fil du temps.

La Cour suprême du Canada a notamment invalidé les peines minimales pour crimes par armes à feu et certaines dispositions plus strictes concernant les remises en liberté.

C’est toutefois le jugement sur la peine d’Alexandre Bissonnette, qui a tué six fidèles à la grande mosquée de Québec en 2017, qui a certainement le plus marqué les esprits. Dans une décision unanime, les juges du plus haut tribunal du pays ont déclaré inconstitutionnelles les peines consécutives, permettant de cette façon à Bissonnette de faire une demande de libération conditionnelle après 25 ans plutôt que d’être assuré de finir ses jours en prison.

Les juges invalidaient ainsi une loi adoptée en 2011 par le gouvernement Harper qui permettait d’additionner les peines de prison à perpétuité pour les individus ayant commis plusieurs meurtres.

Le Pénitencier de la Saskatchewan à Prince Albert, le 23 janvier 2001.

La Cour suprême a invalidé une loi adoptée en 2011 par le gouvernement Harper qui permettait d’additionner les peines de prison à perpétuité pour les individus ayant commis plusieurs meurtres. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Thomas Porter

Pierre Poilievre ne laisse planer aucun doute : il entend revenir à la charge.

Je pense que c’est une honte. Quand je serai premier ministre, [Alexandre Bissonnette] va rester derrière les barreaux et en sortira seulement dans une boîte [un cercueil], a-t-il promis mardi, en marge d’un discours. Le chef conservateur a assuré que l’auteur de la tuerie purgerait six peines à vie.

Un tabou tombe

Le gouvernement fédéral n’a jamais invoqué l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, parfois aussi appelé « clause nonobstant ». Seules les provinces y ont eu recours.

C’est d’ailleurs pour satisfaire les provinces que la clause a été incluse à la dernière minute dans les négociations entourant l’instauration de la Charte, au moment du rapatriement de la Constitution, en 1982.

Aux yeux du professeur de droit de l’Université Laval Patrick Taillon, c’est un tabou qui pourrait tomber si Pierre Poilievre allait de l’avant en invoquant cette disposition. Ce serait un symbole très fort et surtout un précédent qui dédramatiserait ensuite l’utilisation de la dérogation, a-t-il noté en entrevue.

Pierre Poilievre a prouvé à de multiples reprises qu’il n’a pas peur de s’en prendre aux institutions.

Alors qu’il n’était encore que candidat à la direction du Parti conservateur du Canada, il a attaqué l'indépendance de la Banque du Canada en promettant de congédier son gouverneur. Une promesse qu’il a réitérée après avoir été élu chef.

Son comportement à la période des questions en est un autre exemple. Mardi, il s’est fait expulser de la Chambre des communes après avoir refusé de s’excuser pour avoir traité de cinglé (wacko) le premier ministre Justin Trudeau.

Justin Trudeau debout en train de parler devant des banquettes vides.

Justin Trudeau debout à la Chambre des communes, après que les députés conservateurs ont quitté leurs banquettes pour protester contre l'expulsion de leur chef. Vidéo de l'incident et réactions.

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Sur le réseau X, il a par ailleurs qualifié le président de la Chambre, Greg Fergus, de président libéral, alors qu’il est officiellement indépendant puisqu'il est élu par l’ensemble des députés.

À qui cela va-t-il profiter?

Mardi, Justin Trudeau a tenté de dépeindre Pierre Poilievre comme un politicien radical qui souhaite renverser les protections fondamentales des Canadiens garanties par la Charte. Son lieutenant pour le Québec, Pablo Rodriguez, est allé jusqu’à se demander si le chef conservateur pourrait invoquer la disposition de dérogation pour interdire l’avortement, alors que Pierre Poilievre assure qu’il ne veut pas ouvrir ce débat.

Mais même pour le parti qui a la Charte tatouée sur le cœur, il pourra être ardu de démontrer concrètement l'importance qu'aurait un recours éventuel à l'article 33.

Alors que l’électorat apprend encore à connaître Pierre Poilievre, il a désormais un aperçu de ses méthodes, loin d’être traditionnelles. Et il décidera au moment des prochaines élections s’il aime ce qu’il voit ou pas.

D’ici là, la foire d’empoigne à laquelle on a assisté à la période des questions aux Communes, mardi, nous fait comprendre que la bataille électorale sera d’une âpreté rarement vue au Canada.

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